Aurons-nous de l’eau potable demain ?

Conférence-débat du 16 octobre 2023

La question peut paraître incongrue dans notre région et pourtant… les épisodes de sécheresse de ces dernières années ne nous épargnent pas et le dérèglement climatique perturbe les cycles que nous connaissions jusqu’à maintenant.

Quelles conséquences sur nos nappes phréatiques, sur notre capacité à puiser de l’eau potable pour notre quotidien, à garantir sa qualité, tout en assurant une utilisation pour d’autres usages comme l’agriculture et l’industrie.

Une rencontre en présence de :

  • Jamal El khattabi, Professeur des Universités, Hydrogéologue, Vice-Président de l’Université de Lille
  • Florent Guérin, responsable du service santé environnement du nord de l’Agence Régionale de Santé
  • Géraldine Jacob, responsable de la cellule eaux de ce service de l’Agence Régionale de Santé
  • Hélène Solves, Cheffe de Service Eau, Nature et Territoires de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer du Nord
  • Thierry Dutilleul,  Adjoint à la cheffe de service Service Eau Nature et territoires de la Direction Départementale des Territoires et de la Mer du Nord
  • Jean-Luc Bardel, administrateur de la Confédération Paysanne

Et animée par Grégoire Jacob, président d’EDA

Une rencontre organisée par EDA Environnement et Développement Alternatif
MRES 5 rue Jules de Vicq 59000 Lille – métro Fives
Entrée gratuite – ouverture des portes à 18h

Inscription préalable obligatoire (clôturé) – Nombre de places limité

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Aurons-nous assez d’eau potable demain ?

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La question peut paraître incongrue dans notre région et pourtant…, les épisodes de sécheresse de ces dernières années ne nous épargnent pas et le dérèglement climatique perturbe les cycles que nous connaissions jusqu’à maintenant.

Quelles conséquences sur nos nappes phréatiques et cours-d’eau où nous puisons l’eau potable pour notre quotidien, comment garantir sa qualité, tout en assurant aussi une utilisation pour d’autres usages comme ceux nécessaires à l’agriculture, l’industrie voire même les loisirs.

Après la présentation des divers intervenants et leur rôle au sein des institutions qu’ils représentent, Grégoire Jacob, président de l’association, a animé les échanges entre eux puis avec les personnes présentes.

Jamal El Khattabi, Professeur des Universités, Hydrogéologue, Vice Président de l’Université de Lille a détaillé le fonctionnement des nappes phréatiques où l’eau est davantage protégée contrairement à l’eau de surface ou celle des fleuves et rivières directement vulnérables aux diverses pollutions.

Les nappes sont constituées de couches d’argile imperméables qui permettent de former de vastes réservoirs mais aussi de craie qui, en se fracturant, permet à l’eau de circuler selon les pentes du sous-sol.

Un bassin, du point de vue géologique, est délimité par des lignes de crêtes au sein duquel l’eau superficielle alimente aussi en partie les cours d’eau situés dans les parties basses.

En métropole de Lille, la plus grande partie des eaux pluviales ruisselle sur des zones imperméabilisées et, celles qui s’infiltrent, ne représentent que des quantités limitées au regard des quantités de pluies quasi constantes mais déversées de manière différentes. Elles sont dites « efficaces » lorsqu’elles tombent en automne ou en hiver. Or, avec le changement climatique, c’est plutôt au printemps qu’elles surviennent, ce qui perturbe les recharges des nappes car elles servent de suite à la reprise de croissance des végétaux. De plus, des orages violents plus fréquents et une évapotranspiration modifiée elle aussi diminuent d’autant les quantités infiltrées.

Question : quelles sont les conséquences du gonflement ou de la rétraction des argiles ?

Réponse : des phénomènes qui provoquent des fissures importantes dans de nombreuses habitations

Q : Ou celles de la baisse des niveaux des nappes ?

R : lorsque le niveau des nappes a beaucoup baissé, cela peut générer d’impressionnants tassements de sols appelés subsidence : c’est le cas par exemple de Mexico ou Bangkok où ils ont atteint 7 à 11 mètres.

Florent Guérin, responsable du service santé environnement du nord et Géraldine Jacob, responsable de la cellule eaux de ce service de l’ARS – Agence Régionale de Santé – ont évoqué leurs missions respectives.

Elles consistent à veiller à la protection des captages d’eau potable, à effectuer les contrôles sanitaires dès le forage pour s’assurer que l’eau brute prélevée est « potabilisable », puis lors des étapes du traitement dont l’objectif est d’éliminer les polluants, celles du transport pour vérifier que la qualité microbiologique est respectée jusqu’à la distribution de l’eau au robinet.

L’eau potable distribuée au robinet est l’aliment le plus contrôlé en France, davantage contrôlée que l’eau en bouteilles ! Le nombre de contrôles sanitaires dépend du volume pompé, du volume traité et du nombre d’habitants desservis. Ce sont jusqu’à 6500 prélèvements par an qui sont effectués et analysés. Des contrôles inopinés sont réalisés dans des lieux particuliers tels les écoles et les crèches, la mission de l’ARS étant d’assurer la protection généralisée de tous les consommateurs et plus particulièrement celle des plus fragiles. Ces missions sont distinctes de celles des délégataires distributeurs d’eau potable qui réalisent leurs propres analyses. L’ARS travaille en lien avec l’ANSES – Agence Nationale de sécurité de l’alimentation, de l’environnement et du travail – qui donne des avis concernant divers polluants mais qui n’a pas de mission de contrôle.

Ce sont les règles européennes transcrites en droit français qui déterminent les critères à respecter. La Métropole européenne de Lille s’appuie sur la production de 50 à 60 forages pour alimenter environ 40% des habitants. Il peut être décidé de fermer un captage s’il s’avère impropre à la consommation malgré les éventuelles interconnexions possibles avec d’autres pour équilibrer la qualité de l’eau distribuée. Des adaptations des règles européennes sont appliquées dans des secteurs particuliers comme la recherche des ions perchlorates liés aux lignes de front de la première guerre mondiale ou du fait de l’usage d’intrants chimiques particuliers pour développer de nouvelles zones de culture de pommes de terre par exemple ou l’influence sur les milieux naturels d’une installation industrielle récente.

Question : quelles mesures en cas de problèmes détectés ?

Réponse : s’il s’agit d’un polluant microbiologique, les procédures sont rapides : le producteur est prévenu et doit mettre en œuvre les mesures qui s’imposent. Une large information est donnée à l’ensemble des consommateurs concernés et peut conduire à une distribution d’eau en bouteille lors de restrictions de consommation à des fins alimentaires.

S’il s’agit de pollutions chimiques les mesures à prendre seront plus lourdes car en fonction du risque sanitaire à long terme possible c’est au distributeur de modifier ses sources d’approvisionnement.

Q : est-il possible de connaître et de suivre régulièrement les résultats des analyses effectuées ?

R : outre les informations qui figurent sur les factures d’eau (synthèse des analyses effectuées par le distributeur), il est possible de consulter le site de l’ARS – onglet santé publique – lien qualité eau potable – où vous trouverez toutes les réponses à ce sujet et notamment les résultats concernant votre commune. Il est possible aussi de se renseigner auprès du distributeur d’eau.

Jean-Luc Bardel, administrateur de la Confédération Paysanne, syndicat né en 1987 par des membres entrés en dissidence avec la FNSEA. Le savoir faire paysan est le fil conducteur des activités de maraîchers ou de petits exploitants soucieux de garder un sol vivant grâce au fumier provenant de l’élevage (celui d’une centaine de poules en ce qui le concerne) et de fumier récolté dans les élevages voisins. Maintien de biodiversité, plantation de haies larges et hautes pour protéger les cultures, réduire l’érosion et accueillir une faune auxiliaire précieuse, rotations de cultures diversifiées, engrais verts, semences anciennes…, autant de pratiques qui favorisent la fertilité des sols et réduisent les besoins en eau. Une simple mare de 4 mètres de profondeur dans une ancienne prairie lui suffit largement jusqu’à présent malgré les aléas climatiques de ces dernières années grâce à un système de goutte à goutte et une récupération des eaux de pluie à partir des gouttières des serres. Polycultures et petits élevages sont des pratiques à retrouver pour le maintien d’un sol fertile.

Ce n’est pas le cas des agro-industries voisines de sa petite exploitation qui irriguent leurs monocultures de maïs ou de pommes de terre très gourmandes en eau qui se développent de plus en plus. Elles font face à une pénurie d’eau car certains forages allant parfois au delà de 130 mètres de profondeur sont épuisés, d’autres, plus proches du littoral ne recèlent que de l’eau salée.

On assiste à une recrudescence de recherche de petites nappes de plus en plus profondes, d’autant que, le plus souvent, les compteurs liés à ces forages pour payer l’eau prélevée sont rarement contrôlés.

« face aux pénuries d’eau, l’agriculture paysanne coule de source » un constat unanimement approuvé par tous les participants. Les pratiques paysannes sont les seules solutions à privilégier pour nourrir demain un maximum d’habitants grâce à des circuits courts avec des variétés locales et des sols pratiquement exempts d’intrants chimiques donc vivants.

Hélène Solves, Cheffe de Service Eau, Nature et Territoires de la DDTM – Direction Départementale des Territoires et de la Mer du Nord et Thierry Dutilleul, Adjoint, un service déconcentré, une direction interministérielle rattachée au préfet du Nord. Leur champ d’intervention est très large et concerne les sujets de planification, d’urbanisme, d’économie agricole, du logement, des risques et celui de l’eau et de la nature.

La gestion de l’eau n’est pas organisée de manière administrative comme l’ensemble des autres services des Hauts de France : pas de départements complets sauf celui du Nord et des départements qui dépendent de deux bassins gérés par le préfet en tant que coordinateur de bassin et par l’Agence de l’Eau Artois-Picardie. C’est elle qui perçoit les redevances et octroie les subventions pour améliorer les réseaux d’eau, la qualité des captages et des forages ou soutenir certains projets dans le cadre du 11ème plan d’intervention qui se termine en 2024 : le 12e se focalisera sur « résilience et adaptation au changement climatique ».

Les structures administratives doivent s’adapter à la spécificité de l’eau qui est un milieu naturel qui s’étale au delà de leurs limites : de plus, les collectivités locales, responsables de la qualité de l’eau potable sont absentes des tables de discussions et c’est à la DDTM d’accompagner les divers services à ce sujet : une gestion qui s’avère donc particulièrement complexe.

Le plan eau

Le plan eau de mars 2023 propose « enfin » la simplification de la gouvernance de l’eau et, pour faciliter les accords entre collectivités, il envisage de donner davantage de responsabilités aux SAGE – Schéma d’Aménagement et de Gestion de l’eau qui deviendraient des parlements de l’eau avec toujours la mission d’appliquer les prérogatives du Schéma Directeur SDAGE et notamment l’amélioration de la qualité de la ressource d’ici à 2027 et la préservation des zones humides – les SAGE sont consultés pour avis par la DDTM pour l’instruction des dossiers soumis à la loi sur l’eau qu’elle doit instruire.

Les principales missions du « plan eau »

Exercer la police de l’eau, c’est octroyer des autorisations pour exploiter l’eau, vérifier les dossiers d’aménagements, de voirie, c’est tenir compte de l’imperméabilisation, du ruissellement, c’est veiller à la préservation des espaces verts et des zones humides qui régressent de manière significative depuis plusieurs années alors qu’elles favorisent les infiltrations, filtrent les pollutions et sont des réservoirs de biodiversité.

Suivi des captages d’eau potable : la DDTM s’occupe du bon état de la ressource et l’ARS du bon état lors de la distribution : une complémentarité permanente.

Estimation de la nécessité de publier des arrêtés sécheresse : selon la période de l’année il y a une norme pour un débit attendu pour les cours d’eau, de même pour les niveaux piézométriques des nappes suivis par les producteurs d’eau potable ou le BRGM.

Multiplier les arrêtés de sécheresse n’est pas la solution retenue mais, si les résultats obtenus lors des contrôles révèlent des baisses de niveau trop importantes, ils sont transmis au préfet qui prend la décision ou pas de la publication d’un arrêté sécheresse avec les restrictions qui sont évaluées en fonction « du strict nécessaire » pour pouvoir passer les caps difficiles en période d’étiage notamment.

Pour info rendez-vous sur le site VigiEau pour connaître la situation de chaque commune.

Remarques générales

Qui décide du partage de l’eau ?

A partir des interdépendances entre bassins et des niveaux des nappes pour quantifier l’ensemble de la ressource disponible et suite à une réunion de l’ensemble des usagers de l’eau il n’y aura pas de privilèges pour les uns ou les autres mais la priorité sera l’arrivée de l’eau au robinet pour la consommation humaine.

Les solutions à valoriser seront d’éviter les ruissellements, maximiser les infiltrations, multiplier les haies, les prairies pour retenir l’eau, diminuer et progressivement arrêter les cultures intensives et limiter éventuellement les activités de loisirs.

Chacun à son niveau est responsable de l’usage parcimonieux de l’eau. Les règles sont là pour gérer au mieux la répartition de l’eau disponible et veiller à sa qualité. Pour l’hydrogéologue, il faudrait un ministère de l’eau.

Pertes d’eaux liées aux énormes volumes des eaux d’exhaures pour les chantiers de construction qui finissent dans les stations d’épurations alors que ces eaux pourraient être récupérées, réutilisées ou infiltrées

L’usine Coca Cola prélève d’énormes quantités d’eau, de même que Clarebout Potatoes (usine fabriquant des frites surgelées), les futures usines de batteries à Dunkerque..

Quelles limites à ces énormes prélèvements d’eau au nom de l’argument économique : emplois, croissance ?

Avez vous des outils suffisants pour faire face à la crise de l’eau ?

Réponse : NON

aurons-nous assez d'eau demain ?