Le Dixmude, en appui :
Au cours de cette mission le navire porte-hélicoptères Dixmude « …n’aura pas vocation à accueillir des malades du Covid-19 mais pourra, si besoin, délester les hôpitaux de la zone en prenant en charge des patients ‘classiques’ » selon une source militaire
Parti de Toulon le 3 avril, le Dixmude arrive aux Antilles après une lente traversée de 14 jours pour s’assurer de l’absence de contaminations à bord. Le navire est équipé d’un hôpital (deux blocs opératoires/plateau technique/télémédecine/ 69 lits médicalisés, dont une partie dédiés aux soins intensifs).
Sa mission consistait en la mise à disposition d’un renfort médical du service de santé des armées (SSA : infirmiers, techniciens de laboratoire, anesthésiste-réanimateur). Il transportait 4 hélicoptères, pouvant être utilisés pour des évacuations sanitaires, 58 tonnes de produits alimentaires, de grandes quantités de gel hydro-alcoolique, et 4.5 T de matériel médical (masques, etc.) dont une partie a été ensuite transportée en Guyane par avion depuis les Antilles.
La stratégie retenue était d’envoyer par avion aux Antilles les cas les plus graves, et de traiter sur place en Guyane le maximum de patients ne nécessitant pas de réanimation. Début avril, l’ARS et de la Préfecture de Guyane considéraient la situation sanitaire sous contrôle et le nombre de lits de réanimation (14 pour toute la Guyane) avait presque triplé (38). Cela était jugé suffisant.
Malgré cette confiance dans l’efficacité des mesures prises, la situation n’a pas évolué aussi favorablement qu’escompté. Au 4 juillet, avec près de 8000 cas diagnostiqués et 44 décès hospitaliers, la Guyane a payé un lourd tribut à l’épidémie de Covid-19. Les personnels de santé en milieu hospitalier et sur le terrain se sont mobilisés avec abnégation dans un contexte de pénuries cycliques de tests, masques, gants, blouses etc. Le plan blanc a été déclaré début juillet.
Geste barrières : une prise de conscience tardive :
La sensibilisation aux gestes barrières a été lente. Les autorités ont mis du temps à donner l’exemple, Il a fallu attendre avril-mai pour voir le port du masque généralisé au cours des réunions de travail officielles, et la distanciation respectée.
La communication officielle sur les masques et les gestes barrière a suivi, avec un décalage de plusieurs semaines celle pratiquée en métropole : le port du masque n’était pas considéré nécessaire et une distance d’un mètre était recommandée et jugée suffisante pour réduire le risque de transmission, selon l’ARS et la préfecture. De toute façon les masques manquaient et en porter sur le lieu de travail ou en public pouvait être mal perçu et attirer des remarques désobligeantes, ou moqueuses.
Des rumeurs sur notre prétendue immunité au Virus :
Une rumeur courait : la maladie touchait essentiellement les vieux et la population Guyanaise étant jeune allait y échapper. De plus, le climat Guyanais n’était pas favorable au virus : la preuve, nous n’avions presque pas de cas. Ces rumeurs ajoutées aux communiqués rassurants des autorités n’étaient pas faites pour favoriser l’adoption et la généralisation de comportements prophylactiques efficaces, ni pour aider à la mise en place d’une stratégie volontariste de détection massive et de confinement.
Confinés très tôt (17 mars), dé-confinés très tôt (11 mai) :
En calquant les dates de confinement et le dé-confinement sur la métropole, la Guyane aurait-elle fait une erreur stratégique, immédiatement payée par une flambée de nouveaux cas ? Rien ne permet de l’affirmer ou de l’infirmer actuellement au vu des données épidémiologiques, l’efficacité du confinement pour réduire l’impact de l’épidémie n’étant pas prouvée.
Le choc de la crise sanitaire au Brésil
L’évolution dramatique de la situation au Brésil et les images de fosses communes ont entrainé une prise de conscience brutale parmi la population guyanaise en partie originaire du Brésil : nous risquions le même scenario. Une partie de la population aisée, bien informée et ayant les moyens de se protéger (habitats spacieux, pouvoir d’achat) a respecté le confinement et a pu se procurer des masques, vendus très cher, lorsqu’ils ont enfin été disponibles.
Précarité et gestes barrière :
Des foyers urbains sont apparus dans les squats, bidonvilles et quartiers de Cayenne connus comme fiefs des marchands de sommeil pour les milliers de travailleurs clandestins employés dans tous les secteurs d’activités de Cayenne. Les conditions de promiscuité dans ces habitats précaires et minuscules, l’impossibilité financière pour ces populations d’acheter des masques, même lorsqu’ils ont été disponibles, compte tenu des prix pratiqués, rendaient et rendent encore utopique le respect des gestes barrières par certaines populations : elles n’en ont pas les moyens matériels .Pire, le confinement dans ces conditions pouvait favoriser la contamination.
Communication difficile :
Un grand nombre de ces habitants sans statut légal ne parlent pas français et nombreux sont illettrés. En l’absence de programmes spécifiques de communication dans les diverses langues pratiquées, il était difficile de faire passer efficacement des messages de prévention. Des associations se sont attelées à la tache quasiment sans moyens et avec la contrainte du confinement. Actuellement les autorités de santé communiquent dans toutes les langues pratiquées.
Des approvisionnements chaotiques :
Selon le premier ministre, lors de sa venue en Guyane (12 juillet), la situation était maitrisée et les masques et autres matériels étaient disponibles en quantité suffisante pour le personnel soignant et pour la population. Pourtant, dans le même temps des pénuries de gants ou de sur-blouses étaient encore constatées en milieu hospitalier et le prix des masques disponibles pour le public les rendaient uniquement accessibles aux plus aisés. Bien sur les problèmes d’approvisionnement n’ont pas uniquement porté sur le matériel de santé. Dans la région frontière avec le Surinam, la pénurie de gaz était sensible. La frontière avec le Surinam étant officiellement fermé, le commerce des denrées alimentaires a continué illégalement avec un fort enchérissement des produits.
Dans le contexte économique fragile de la Guyane, le confinement a eu un impact violent et dramatique sur les plus démunis: plus de job, plus d’argent et donc rien à manger pour les plus pauvres et les plus fragiles. Les violences envers les femmes ont augmenté significativement selon les associations, et l’endettement auprès d’usuriers maffieux pour pouvoir manger et garder son logement va augmenter si l’aide alimentaire, multipliée par 8 en quelques mois, ne suffit pas et si l’activité économique tarde à reprendre
La levée du confinement a permis une reprise partielle des activités, mais un grand nombre de petites entreprises ne survivront pas à la crise. Dans ces conditions le travail illégal va probablement prendre de l’ampleur et l’économie parallèle déjà bien présente risque de combler partiellement le vide laissé par les faillites.
Pour vivre et survivre…
Il va falloir se débrouiller encore mieux qu’avant et les inégalités vont se creuser.
Se protéger et surtout protéger l’autre passe souvent au second plan dans ce genre de situation. D’autant plus que la communication ambiguë en début de crise n’a pas convaincu un grand nombre de gens de l’efficacité des gestes barrière. Dans les quartiers défavorisés de St Laurent quasi personne ne porte de masque.
Ralentissement de l’épidémie :
Au 30 juillet, la Guyane enregistrait encore une moyenne de 80 nouveaux cas par jour, 15 hospitalisations et deux admissions en réanimation contre 23 hospitalisations par jour la semaine précédente.
L’épidémie semble actuellement régresser. Il a fallu attendre vingt et une semaines après le début de l’épidémie pour pouvoir enfin réaliser un nombre significatif de tests, selon les données de l’ARS (500 tests ont été réalisés en semaine 20 et les 1000 tests/semaine ont été dépassés seulement en semaine 21). La pénurie de matériel, de personnels et de tests ne permettait jusque-là qu’un nombre infime de tests par semaine. Longtemps demandée par un collectif de citoyens et des élus constatant le peu de tests réalisés en début d’épidémie, cette augmentation de la capacité de test a permis d’identifier des nouveaux foyers(clusters) et de les suivre, une mesure indispensable pour juguler la transmission. Le taux de positivité est stable, à 18%.
L’épidémie de dengue est toujours active, et la levée du confinement permet de contrôler à nouveau les gites larvaires du moustique vecteur.
Cette embellie ne doit pas amener les Guyanais à baisser la garde : Les relâchements parfois constatés dans le respect des gestes barrières pourraient entrainer l’apparition de nouveaux foyers et obliger à de nouveaux confinements partiels.
Dans ces conditions, il est primordial d’assurer la continuité des approvisionnements en masques, tests PCR et autres matériels. Il faut pouvoir fournir des masques lavables à prix coutant ou gratuits pour les populations à faible pouvoir d’achat, généraliser les contrôles de T° sur les lieux de travail et dans les commerces et intensifier l’information auprès des populations les plus menacées. Il faut aussi continuer à multiplier les points d’approvisionnement en eau potable.
Enfin, il est essentiel de mettre tout en œuvre pour relancer l’économie et l’emploi, en particulier celui des jeunes, sinon l’épidémie de Covid-19 entrainera plus de dégâts collatéraux qu’elle n’occasionnera de décès ou de séquelles chroniques.
Quartiers à risque :
Squats, bidonvilles, zones dortoirs et « écarts » isolés en forêt, ces habitats précaires, avec un accès limité à l’eau, sont des lieux privilégiés pour la propagation de l’épidémie Covid-19.Certains de ces quartiers ont subi un confinement renforcé sur l’île de Cayenne. Cela a entrainé un ralentissement et parfois un arrêt de l’économie informelle. Les habitants les plus fragiles vivants de petits jobs se sont brusquement retrouvés sans revenus et la faim a fait son apparition. Cette situation pourrait entrainer une dépendance accrue envers les usuriers maffieux.
L’accès aux soins est devenu problématique ou impossible pour nombre d’habitants, malgré le dévouement d’associations comme Médecins du monde.
Droits sociaux :
Le gouvernement a prolongé les droits sociaux et les titres de séjour au cours du confinement en mars, mais après la fin du confinement, le 11 mai, ces droits n’ont pas été prolongés malgré un prolongement de l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 30 octobre en Guyane.
Il en est résulté de nombreuses ruptures de soins, car plus de la moitié des assurés sociaux en Guyane sont considérés en grande précarité et relèvent de l’Aide Médicale d’Etat et de la Complémentaire santé Solidaire.
Les personnes en rupture de droits sont devenues si nombreuses que les structures de santé et sociales ont été débordées. Il en a été de même pour l’accès à l’alimentation des plus démunis, malgré la forte augmentation de l’aide alimentaire. En Guyane, dans les mois à venir de nombreux enfants risquent d’avoir faim si la situation économique ne s’améliore pas. Beaucoup, malades n’auront pas accès aux soins en raison du déficit en personnel des services de santé.
Facteurs de risques et précarité :
En Guyane, dans la plupart des cas graves de Covid, parfois chez des sujets jeunes, un facteur de comorbidité est découvert au cours de l’hospitalisation. Nombre de personnes en situation précaire présentent des facteurs de risque face à l’épidémie de Covid-19, en particulier le diabète. Actuellement les moyens financiers et humains manquent pour identifier et protéger les personnes à risque.
Démographie et migration :
Entre 2010 et 2020 la population de la Guyane augmenté de 30%, en raison de la démographie et de l’immigration clandestine .Environ 300 000 habitants vivent en Guyane dont la moitié à moins de 25 ans. A ce nombre il faut ajouter entre 30 000 et 35 000 étrangers clandestins vivant en conditions de grande précarité et d’exploitation.
Cette augmentation constante de la population a pour résultat un déficit chronique dans l’accès à tous les services publics, la Guyane accusant un retard de 15 à 20 ans par rapport à la métropole.
Crise sociale chronique :
Près de la moitié des Guyanais vivent sous le seuil de pauvreté .Plus de 20% des habitants vivent avec 550 euro par mois, et 6 enfants sur 10 vivent dans des familles pauvres.
Le taux de mortalité infantile est le plus élevé de France et près de la moitié des habitants vivent dans un désert médical. Kourou, port spatial de l’Europe n’avait aucun lit de réanimation dans son hôpital jusqu’à la grève de juillet 2020 ou deux lits ont été promis pour répondre à l’urgence Covid. Pour l’ensemble du territoire il y avait en début de crise Covid moins de 15 lits de réanimation. Le manque en personnel soignant est criant depuis des décennies. Les manifestations de 2017 avaient souligné l’urgence d’agir pour la santé et l’hôpital. En 2020 le nouveau collectif Mayouri Santé descend dans la rue et demande des réformes d’urgence.
Près de 50 000 personnes n’ont pas accès à l’eau potable. Les bénéficiaires de l’aide alimentaire sont passés de 5000 avant l’épidémie, à plus de 40 000 en juillet, mais cela n’est pas suffisant, car le coût de l’alimentation déjà plus élevé qu’en métropole en temps normal (+ 40%) a encore augmenté. Le taux de chômage (19%) risque d’exploser dans les mois à venir, mais de nombreux jeunes « jobeurs » vivant d’emplois précaires non déclarés n’ont aucuns droits.
Se loger est plus cher qu’en métropole (+20%). Les marchands de sommeil logent les clandestins dans des cages à lapin immondes, à prix d’or.
Crise sociale à venir:
La crise sociale et économique est déjà là. Un tiers de l’activité économique a probablement disparu. Les petites entreprises de moins de 20 salariés risquent d’être fermées au cas où un employé est positif. Le fond de solidarité pour les entreprises (3000 euro par mois) pourrait ne pas être suffisant pour assurer la survie de nombre d’entre-elles compte tenu des délais d’établissement des dossiers et de payement. Un plan de réduction des inégalités pourrait-il être mis en place ?
Quel avenir post-COVID pour la Guyane ?
La réponse à la crise en Guyane ne viendra pas des seules aides d’urgence. Le territoire est fragile, la crise endémique et structurelle.
La crise du Covid agira t’elle comme un électrochoc sur les politiques ? Allons-nous continuer la politique de retour à la frontière et d’expulsion des bidonvilles totalement inefficace et ruineuse? Une autre voie est-elle possible ?
L’état d’Amapa, l’un des plus pauvres du Brésil, et le Surinam à l’économie en berne, entourent la Guyane. Ce territoire français en déshérence selon les standards européens est perçu par ses voisins comme un eldorado, au propre comme au figuré. Difficile dans ces conditions de rendre étanches 1200km de frontières poreuses dans la forêt amazonienne. C’est totalement utopique : 10 000 garimpeiros exploitent l’or et déversent des tonnes de mercure chaque année dans les fleuves guyanais empoisonnant les poissons et les populations riveraines qui les consomment en quantités
Parier sur la jeunesse devrait être une priorité : 60 % des jeunes âgés de 16 à 25 ans ne sont ni scolarisés ni étudiants et seulement 12 % des jeunes sont bacheliers. Foncier, santé, éducation, mines, pêche, agriculture, la Guyane a besoin d’une vision à long terme et de décisions fermes. Covid ou pas, naviguer à vue n’est plus une option.
G GREPIN
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