EDA et l’Autorité de Sûreté Nucléaire
Participation au CODIRPA (Comité Directeur Post-accident) 2005-2010
Anita Villers
Court rappel
L’État est responsable de l’information du public sur les modalités et les résultats du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Toute personne a le droit d’obtenir des informations auprès de l’exploitant ou du responsable d’un transport de substances radioactives sur les risques liés à l’exposition aux rayonnements ionisants.
L’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a été créée par la loi TSN du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. C’est un organisme indépendant.
Au nom de l’État, l’ASN réglemente et contrôle la sûreté nucléaire et la radioprotection en France pour protéger les travailleurs, les patients, le public et l’environnement des risques liés à l’utilisation du nucléaire. Elle contribue à l’information des citoyens. Elle contrôle notamment les centrales nucléaires d’EDF, les installations de la COGEMA et du CEA, le transport des matières radioactives, les activités nucléaires, les domaines utilisant des rayonnements ionisants (médical ou de la recherche).L’ASN a reçu la mission (directive interministérielle du 7 avril 2005 sur l’action des pouvoirs publics en cas d’événement entraînant une situation d’urgence radiologique) d’établir le cadre, de définir, de préparer et de mettre en œuvre les dispositions nécessaires pour répondre à une situation post-accidentelle nucléaire en s’appuyant, entre autres, sur les avis d’acteurs de la société civiles et d’experts scientifiques.
Séminaire ASN 6 et 7 décembre :
Il a été organisé pour faire le bilan des travaux menés par les 10 groupes de travail : tous les rapports n’étaient pas terminés mais il était évident que les constats, les états des lieux constituaient une première étape très importante, un socle de référence précieux et surtout un changement notoire quant à une volonté de sensibiliser grand public, les services de l’État, les élus… aux risques potentiels et d’en anticiper la gestion en s’appuyant sur les « parties prenantes » c’est-à-dire tous les acteurs du territoire.
Trois représentants d’associations se sont exprimés à la tribune : Monique Sené du GSIEN (Groupement de Scientifiques pour l’Information sur l’Energie Nucléaire) – Jean Claude Autret de l’ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest) et EDA.
Constat unanime
- Le citoyen doit pouvoir faire part de ses observations, donc être informé, et avoir les moyens de participer à la mise en œuvre des dispositifs. Dans un contexte historique de secret et de manque de transparence, l’approche post accidentelle doit avant tout être comprise par tous pour être efficace
- Le rôle des Commissions Locales d’Information doit être amplifié et pérennisé : sans moyens financiers adaptés, l’accès à l’expertise indépendante ne sera qu’un leurre
- Les lignes directrices d’une gestion post accidentelle de moyen et long terme élaborées au niveau national par le CODIRPA constituent une base de données assez complète voire même trop détaillée. La nécessité de les confronter aux contraintes, aux spécificités de chaque territoire, avec les acteurs concernés, s’impose.
Le séminaire a montré qu’il fallait aller plus loin : la prise de conscience de la réalité des risques a révélé l’ampleur du manque d’information, de formation et de connaissance des nouvelles responsabilités qu’il y aurait à assumer notamment de la part des élus locaux.
Dès lors les réunions des groupes de travail ont consisté à compléter les rapports en y intégrant les remarques de nouveaux participants ou les retours d’expérience d’exercices « in situ ». Deux nouveaux groupes de travail sont créés : communication et réglementation. Il s’agit là aussi de lignes directrices élaborées au niveau national.
Principaux thèmes abordés
1 – les étapes d’une situation post-accidentelle
La phase d’urgence : phase des rejets accidentels gérée par les pouvoirs publics dans le cadre des Plans Particuliers d’Intervention.
La phase post-accidentelle est celle des conséquences de l’évènement : elle commence dès la fin des rejets, l’installation ayant été ramenée à un état sûr.
La phase de transition entre les deux phases précédentes est cruciale : mal gérée elle peut avoir des conséquences graves à long terme. Elle concerne :
- la levée des actions de protection des populations mises en œuvre pendant la phase d’urgence ou, afin de limiter leur exposition, nécessité d’éloigner des habitants qui n’avaient pas été ciblés pendant cette phase
- l’identification des actions envisageables pour
- la réduction de la contamination du milieu bâti
- la chronologie de leur mise en œuvre
- les modalités de leur sélection et de leur mise en œuvre au cours de la 1ère année après l’évènement
- les recommandations concernant
- la protection des populations
- l’implication des parties prenantes
- les modifications éventuelles à apporter aux conditions domestiques sur place, aux comportements quotidiens individuels…
Qu’il s’agisse des maires, premiers concernés pour l’information, la gestion, le suivi santé, les restrictions en matière de consommation locale…, la nécessité d’adapter les recommandations nationales aux spécificités locales est dès lors devenue un axe majeur des engagements à venir de l’ASN.
2 – les risques pour la santé dus à l’exposition aux faibles doses de radioactivité
La présence de radio éléments naturels dans différentes régions minimise l’attention qu’il faudrait porter à une exposition régulière aux faibles doses qui, selon les études actuellement effectuées et disponibles, peut entraîner l’accroissement de la fréquence d’apparition de certaines pathologies (leucémies – cancers). Par ailleurs, il est reconnu (Cf 1er séminaire Post-accident) qu’on ne « sait » pas et qu’il faut lancer des recherches ambitieuses pour avancer.
En cas de maintien sur place des populations après la levée de la mise à l’abri, les éventuelles restrictions concernant certaines denrées doivent être diffusées régulièrement auprès des habitants : toutes les consignes doivent être respectées sinon les mesures et dispositifs mis en place s’avèreront inutiles ((d’où l’importance d’une préparation en amont). Il faudra notamment tenir compte durant les premiers jours des radio éléments à vie courte qui généreront des interdictions temporaires mais qui pourront être progressivement levées (prises d’iode par exemple mais d’autres dispositions aussi..).
3 – droit de retrait
Le cadre réglementaire s’est durci pour protéger aussi bien les salariés du privé que pour ceux de la fonction publique : si un agent a un motif raisonnable de penser que sa situation de travail présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé il doit en avertir sa hiérarchie qui ne peut lui demander de poursuivre son activité ni lui appliquer une sanction ou réduire son salaire.
La notion de danger grave et imminent donne lieu à des interprétations différentes et nourrit une jurisprudence abondante. Si le droit à l’erreur dans l’appréciation du danger par le salarié est reconnu, par contre les maladies qui sont le plus souvent consécutives à une série d’évènements à évolution lente sont a priori « hors champ ». Reste l’ambiguïté concernant les personnels affectés à certaines missions de sécurité des personnes et des biens (police, sécurité civile…)
4 – poursuite des travaux : se rapprocher des territoires concernés
Les grandes lignes évoquées au niveau national n’ont de valeur que si elles sont adaptées aux spécificités locales et surtout « appropriées » par les acteurs : élus, services sécurité civile, de santé, éducation… et bien sûr habitants. L’évidence de la nécessité de rencontres, de concertation, de préparation en amont d’une situation post accidentelle est désormais acquise.
Constats :
- une restructuration du territoire est en cours : il faudra adapter la répartition des responsabilités.
- des travaux n’ont pas avancé tels la nécessité ou non de laver le bâti : manque de données sur les conséquences des écoulements des eaux – quelle eau utiliser – quelles réactions entre les radionucléides et les molécules chimiques présentes… Est-ce utile si laver ne rendra pas « propre ». Une mesure pour rassurer ? S’il s’agit d’éviter le ré envol des poussières, pendant combien de temps faudrait-il le faire ? Une mesure dont les conséquences sur le long terme peuvent s’avérer très lourdes : dispersion de la pollution, contamination en profondeur ?
- le temps du rejet est important : ensuite il restera pour longtemps un « bruit de fond »
5 – en ce qui concerne un scénario avec rejets de plutonium
Il n’y a pas de risques d’irradiations externes mais le danger potentiel est lié à l’ingestion (inhaler – manger). L’éloignement est préférable pour permettre d’évaluer les risques par des actions menées par des personnels équipés en conséquence pour effectuer les prélèvements.
Pour garantir la fiabilité des calculs de doses il ne faut pas remuer le sol. La présence de vent peut constituer un élément aggravant de la situation. Tant que le plutonium est en surface il est dangereux (notamment sur le bitume) ; une fois que les molécules ont pénétré dans le sol elles se stabilisent mais, est-il alors possible d’occuper à nouveau les lieux car le plutonium restera « éternellement » et même avec des précautions bien explicitées, comment limiter les risques de contamination de la chaîne alimentaire ?
Pour chaque scenarii, les « modèles scientifiques » existants sont ébranlés et doivent être repensés
Les missions prioritaires
Les travaux 2008 ont permis d’enrichir les bases de données, de préciser les attentes et objectifs. Pour 2009, deux axes ont été définis :
- se rapprocher des territoires avec l’appui du CEPN (Centre d’étude sur l’Evaluation de la Protection dans le domaine Nucléaire) et tester lors d’exercices avec les acteurs et les moyens locaux ce qui a été écrit/prévu/anticipé au niveau national à savoir :
- comment agir de manière transversale à partir des premiers éléments mis en avant dans les rapports des différents groupes de travail
- comment harmoniser les décisions des préfets si la zone concernée est « sous » deux autorités administratives : au moment de la phase d’urgence les mêmes décisions sont souhaitables
- jeter les bases de futurs Plans Post Accidents Nucléaires à intégrer dans les PCS (Plans Communaux de Sauvegarde) en cours d’élaboration
- tirer les leçons des manques, des modifications à apporter aux fiches PPI (Plan Particulier Intervention) existantes bien faites mais à l’évidence nécessitant des remises à jour indispensables pour être efficaces.
- valoriser les travaux des 11 groupes
- en complétant les divers rapports d’étape avec les remarques formulées par les membres qui ont lu les premières versions
- en envisageant des périmètres post-accidents plus larges (sur tout le territoire)
- en s’appuyant sur les retours d’expériences des exercices menés sur quelques territoires pilotes en vue de préparer le guide post accident prévu pour 2010
Questions soulevées et non élucidées
- Qui décide du retour ou pas des personnes qui ont été éloignées dans un premier temps, par mesure de précaution?
- Quelle incidence sur les questions d’indemnisation ?
- Quelles conséquences pour les familles qui décident de ne pas revenir ?
- Quel rôle jouera la CLI (Commission Locale d’Information) ? A quel moment : dès la phase d’urgence terminée et la levée de la mise à l’abri ? A l’instant de la transition ?
- Les personnels de la CMIR (Cellule Mobile d’Intervention Radiologique) peuvent-ils exercer leur droit de retrait ?
- En cas de rejets de plutonium faudrait-il envisager un éloignement de très longue durée ou interdire toute production alimentaire locale et envisager le maintien avec précautions ?
- Quid de scénarii plus graves ? la démarche restera la même mais il est évident que les difficultés seront démultipliées !
Nouvelles orientations : le CODIRPA 2
Pour un scénario de rejet de courte durée, les 11 groupes ayant pratiquement terminé leurs rapports, il semble que l’on soit allé au bout de l’anticipation des mesures à envisager. Un socle de données existe : il faut s’y référer pour bâtir de manière transversale une stratégie qui, pour être efficace doit à la fois être adaptée au territoire et comprise par tous les acteurs potentiels.
Rien n’est figé : la question des zonages notamment a été revue, retravaillée pour qu’elle soit plus souple et donc plus facile à mettre en place. De même la question des indicateurs dosimétriques sera traitée avec les experts de l’ASN et de l’IRSN pour que le préfet puisse prendre les décisions les plus adaptées aux aléas de la situation.
Deux commissions ont été créées : la Commission 1 pour la phase de transition, la Commission 2 pour la phase de long terme, charge pour elles de mettre en cohérence les conclusions des travaux des groupes thématiques. Trois documents sont en cours de rédaction et doivent être prêts courant 2010 :
- Pour la commission 1 :
- le guide de sortie de la phase d’urgence, 1ère semaine de la phase post-accidentelle
- Lignes directrices pour la phase de transition
- Pour la commission 2 : lignes directrices pour la phase de long terme.
La mission de l’ASN 2010 consistera alors à parcourir les régions pour rencontrer les préfets, les services de l’État, les élus des collectivités locales concernées. Beaucoup d’élus ignorent les responsabilités qui seront les leurs dans le cadre d’une gestion post accidentelle nucléaire.
La mission des CLI, en plus de l’information sur les installations, viendra en appui de ces rencontres pour former les parties prenantes : il s’agira de faciliter l’appropriation par la population de l’éventualité d’un risque considéré jusqu’ici comme impossible en France, lever les doutes, entendre les réticences, les refus de participer, répondre aux nombreuses questions légitimes et commencer un indispensable maillage de référents sur les territoires « à risques ».
Les deux commissions Codirpa ont entamé la phase de rédaction des documents à produire d’ici à la fin de l’année.
Lors du CODIRPA élargi du 10 février, les bilans et rapports présentés par les pilotes des groupes de travail qui n’étaient pas encore terminés ont été soumis aux questions et remarques des nombreux participants. Deux groupes ont été créés récemment et leurs travaux ne sont pas terminés : le groupe communication et le groupe réglementation. Le travail de ce dernier est complexe et a suscité beaucoup d’échanges. Il est prévu que des fiches soient discutées et mises sur le site de l’ASN.
Le plan du guide « préparation de la sortie de la phase d’urgence » a été remanié compte tenu de la présentation de la démarche ORSEC. Par ailleurs, une mise à jour des Plans Particuliers d’Intervention est en cours : mettre en cohérence les dispositifs semble indispensable.
Deux mises en garde ont été exprimées : attention au « top down » les habitants doivent pouvoir avoir aussi des initiatives, des propositions à formuler – un guide clair et concis oui mais pas un dictionnaire !
Les représentants de l’ASN rencontrent les préfets des différentes régions pour présenter les travaux. Trois sites pilotes ont été sélectionnés pour y tester le Guide « préparation de la sortie de la phase d’urgence » : les bilans seront très intéressants à examiner. Cela est un test très attendu pour réorienter éventuellement les propos et préparer des guides les plus fiables possibles.
Suite au séminaire de décembre 2007, l’ASN prépare une seconde rencontre pour mai 2011 afin de faire le bilan des travaux menés par les deux commissions (transition et long terme), et de présenter de manière officielle les documents qui auront été validés.
Seront également évoquées les nouvelles orientations : amplifier les contacts avec les territoires, envisager les lignes directrices d’une stratégie concernant un scénario plus grave avec rejets sur plusieurs jours de radionucléides plus nombreux. Les PPI actuels ne sont pas adaptés à une telle éventualité.
Suite au colloque organisé à Lille, l’association EDA a été invitée à participer à un déplacement en Biélorussie fin janvier 2010 pour témoigner de l’implication d’acteurs locaux auprès des instances nationales et locales. L’émotion était d’autant plus grande que, sur place, au contact des personnes rencontrées, nous pouvions mesurer l’importance, la chance même de pouvoir préparer les actions les plus adaptées possible en amont d’un éventuel accident.
En Biélorussie, tout a été à inventer en plein drame et cela continue encore aujourd’hui : près de 25 ans plus tard des attitudes doivent être « encore » modulées car les paramètres changent selon les conditions climatiques mais pas seulement…
Nous participons aux travaux de la commission 2 (long terme) et à la préparation du séminaire de 2011 au sein du comité de programme. Il est prévu qu’EDA évoque le parcours « de Metaleurop à Halluin3R » cet automne pour témoigner de son action pour améliorer la qualité de vie en territoire contaminé et surtout tenter de le réhabiliter pour les générations futures.
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