Les dispositifs de concertation en france : quelles évolutions significatives ?
Compte-rendu de la Conférence – Débat organisé par EDA – Jeudi 20 septembre 2018
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Ouverture
Anita Villers, Vice-Présidente EDA
Cette rencontre fait suite à celle de 2015 où nous nous posions la question « Comment rendre la concertation plus démocratique ? »
Depuis 1990, date de la création de l’association Environnement Développement Alternatif, nous n’avons eu de cesse de valoriser tout ce qui permet de prendre le TEMPS de s’approprier une information TRANSPARENTE, accessible au plus grand nombre pour avancer ensemble dans une démarche de participation constructive permanente.
Dispositifs officiels, outils numériques, actions citoyennes concrètes qui instaurent de nouveaux rapports entre élus et habitants.. sont autant de sujets à l’ordre du jour en présence, et c’est très encourageant pour nous, de près de 50 étudiants à la fois d’Arras (Lycée agricole – BTS Gestion de l’environnement) et de Lille (université de Droit – Master Science Politique – Concertation) parmi les 150 personnes inscrites.
TABLE RONDE N°1 :
Participation, concertation, co-construction… à quel stade de la décision publique ? Quelle place pour les habitants ?
Le « paysage » de la concertation dans notre pays évolue : réforme de la commission nationale du débat public, renforcement de la fonction de garant de la concertation… Force est de constater toutefois que l’implication du public et la prise en compte de la parole associative restent limitées surtout au niveau de sujets tels que les choix en matière de production d’énergie, de gestion des déchets nucléaires ou de construction de nouvelles infrastructures soumis aux débats publics au niveau national. Est-il envisageable d’obtenir de vraies avancées dans ce domaine ?
Jean-Daniel Vazelle, commissaire-enquêteur, garant de la concertation
Le statut de garant de la concertation est ancien mais a été « requalifié » par les réformes qui ont accru le rôle de la commission nationale du débat public. De nouveaux garants ont été formés. Neutralité, écoute, empathie, appropriation du dossier et recherche de compléments d’information… sont les principales qualités requises.
Le garant doit faire en sorte que le maître d’ouvrage réponde à toutes les questions, en temps et en heure pendant le débat mais même en amont lorsqu’une concertation préalable est envisagée par la commission nationale du débat public : c’est le cas actuellement pour le prochain débat relatif au Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs (PNGMDR). Il peut aussi ré-orienter le débat pour obtenir des contre-propositions et de nouveaux arguments.
En cas de désaccord profond avec le maître d’ouvrage sur les modalités du débat public, le garant doit démissionner. Dans son rapport, il rend un avis sur la façon dont s’est déroulée la concertation, évoque les points importants, les désaccords mais ne se prononce pas sur le projet contrairement à ce qu’est son rôle dans le cadre d’une enquête publique où, tenant compte des échanges qu’il a eus avec le maître d’ouvrage et les participants il donne son propre avis.
Priscilla Cassez, secrétaire générale adjointe de deux débats régionaux CNDP garante de la concertation
La commission nationale du débat public a vingt ans d’existence. Elle traite de projets d’aménagement du territoire dont le coût prévisionnel est substantiel. Les récents débats régionaux avaient en commun de concerner le quotidien des habitants des territoires concernés : l’extension du port de Dunkerque, les mobilités dans le pays de Saint-Omer et, sous la précédente mandature régionale, le lien ferroviaire express Lille-bassin minier. Pour ce dernier, Jacques Archimbaud, président de la commission particulière avait tenu à organiser un débat en différents points de la région et une présence des membres de la commission en de nombreux lieux pour aller le plus possible à la rencontre des habitants : marchés, évènements locaux, questionnaires distribués avec enveloppe T, et douze réunions publiques. C’est ainsi que plus de 20 000 « paroles » ont été recueillies et ont alimenté un projet qui hélas a été abandonné par les représentants régionaux actuels. Cependant il est à noter que les participants ont été à la hauteur du fonctionnement promis. Ils ont eu un impact sur les projets présentés comme d’ailleurs pour les deux tiers des débats organisés en France par la CNDP.
Julien O’Miel, maître de conférences en sciences politiques à l’université de Lille – CERAPS
Depuis les années quatre-vingt-dix en France, la participation citoyenne est essentiellement mobilisée par les institutions qui décident du cadre et des modalités des débats et ont tendance à « fabriquer » les publics. En effet, les consultations se sont trop longtemps déroulées sous un mode descendant, s’adressant à des publics consensuels souvent restreints à propos le plus souvent de sujets techniques tels les PLU*, SCOT* SRADT*SAGE*…
Comment construire des politiques de participation plus ouvertes ? Qui est légitime pour dire ce qui est à mettre en débat ou pas ?
En Toscane, les citoyens peuvent obtenir la tenue d’un débat public sur un sujet local moyennant le recueil d’un certain nombre de signatures. C’est une autorité « non élue » qui préside les rencontres, souvent un chercheur. Il dispose d’un budget modeste pour mener à bien la concertation. Ce fut le cas par exemple d’une réflexion concernant un sujet assez « chaud » celui du lieu d’implantation d’une mosquée dans un quartier de la ville.
Mais il arrive que des mouvements associatifs ne saisissent pas cette possibilité, car le débat ne prévoit pas « l’option zéro », c’est-à-dire le renoncement au projet qu’ils combattent. C’est ainsi qu’à Florence par exemple pour le creusement d’un tunnel sous la ville, l’opportunité de discuter n’a pas été saisie bien que la majorité des éventuels participants refusait ce projet.
TABLE RONDE N°2 :
Participation, concertation, co-construction… Des dispositifs dans la région – Témoignages des collectivités
Tanguy Beuzelin, directeur « Aménagement, urbanisme et développement du territoire » à la communauté de communes du Pays de Lumbres
Hélas souffrant il n’a pas pu être présent pour nous présenter l’action menée et c’est Bertrand Verfaillie qui nous l’a résumée à partir de l’échange téléphonique qu’il a eu avec lui.
Le plan local d’urbanisme intercommunal du Pays, qui sera soumis à enquête publique en fin d’année et sans doute adopté mi-2019, a fait l’objet d’une concertation très approfondie, allant jusqu’à l’exposé des zonages et à la défense des droits de certains habitants lésés.
En trente mois, 4 000 personnes y ont participé. La communauté de communes a d’abord mis en débat un « projet de territoire », avant de passer au document d’urbanisme proprement dit. Les demandes individuelles ont été prises en compte dans le cadre d’une règle identique pour les 36 communes. Une difficulté potentielle : une telle concertation donne à des « mécontents » toutes les clés pour monter un recours.
Delphine Eslan, chargée de mission « participation citoyenne » à la Métropole européenne de Lille
La métropole lilloise pratique la concertation réglementaire sur les projets d’aménagement de son territoire. Elle s’est aussi dotée, conformément à la loi, d’un conseil de développement. En 2014, sous l’impulsion d’un vice-président, l’établissement intercommunal a voulu aller plus loin et a lancé un travail entre élus, techniciens et citoyens. Cette « fabrique » a produit une charte méthodologique, reprise dans une délibération-cadre de l’assemblée métropolitaine.
Pour mettre fin aux échanges traditionnels, la MEL a souhaité mettre en place pour les nouveaux projets de nouveaux outils de participation notamment des ateliers de co-construction appelés « Fab MEL » pour tenter de promouvoir une démocratie plus directe au sein d’une instance non issue du suffrage universel direct. Toucher davantage les habitants en allant à leur rencontre dans leurs communes, se rapprocher de partenaires de proximité telles les missions locales, c’est entendre les souhaits, susciter des propositions et discuter des meilleures réponses en fonction des moyens disponibles.
Des ateliers ont eu lieu concernant l’alimentation et l’agriculture : une loi-cadre en cours de préparation prendra en compte les informations et arguments issus des échanges. Actuellement, dans le cadre du PDU (plan de déplacement urbain) c’est de la marche en métropole dont il est question. Pour réaliser un diagnostic avant de préparer le plan d’action, des rencontres entre techniciens de la MEL et des habitants pour tester des parcours sont prévues afin d’adapter les projets à la réalité du territoire : en ce moment c’est à St-André.
Jonathan Larivière, chef de projet politique de la Ville et démocratie participative à la mairie d’Hazebrouck
Le plan 2014-2020 de développement social et urbain du quartier des résidences Pasteur et Foch « contrat de Ville » a été co-construit avec les habitants d’un quartier prioritaire concerné par le dispositif ANRU (Agence Nationale pour la rénovation urbaine).
Des tables citoyennes, se tenant hors présence des élus, ont fonctionné pendant 5 mois comme des fabriques à idées, sans contraintes, la parole étant libre. Les rencontres ouvertes à tous, se déroulaient dans la salle des sports du quartier avec un animateur « extérieur ». Les rapporteurs étaient issus des organismes pôle emploi et de la CAF. Les élus venaient en fin de séance pour s’informer des conclusions des échanges et manifester leur intérêt pour ce qui était en train de s’élaborer. 40 à 60 personnes étaient présentes, pas toujours les mêmes. Ce sont plus de 400 idées qui ont été émises pour aboutir à 80 grandes propositions qui ont été hiérarchisées par les habitants selon le critère urgent, moins urgent et finalement pour aboutir à 10 prioritaires soumises aux élus pour être évaluées en fonction des moyens financiers disponibles
A ce jour, 30 propositions ont été réalisées. La réhabilitation de quelques bâtiments, selon les souhaits émis est programmée : un résultat très positif. De nouvelles « tables » vont être organisées cette année pour une évaluation à mi-parcours du contrat. La vision des habitants, à l’origine limitée à leur rue, s’est aujourd’hui ouverte à des dimensions plus globales. Dans le même temps, le dispositif de concertation expérimenté dans le quartier a été étendu à d’autres quartiers d’Hazebrouck. Un projet de parcours santé pour relier les quartiers entre eux est aussi à l’ordre du jour, un atout précieux pour créer du lien.
Parti d’une page blanche pour répondre à une obligation contractuelle, un contrat de ville à mettre en œuvre, le conseil citoyen a finalement relevé le défi et obtenu une rénovation répondant aux attentes de la plupart des habitants.
TABLE RONDE N°3 :
Participation, concertation, co-construction… Le temps du pouvoir d’agir citoyen
Martha Bozek, conseillère municipale de Sailly-lez-Lannoy animatrice de « la fabrique saillysienne »
La fabrique est née en janvier 2017 du désir de quelques citoyens d’agir concrètement pour le « bien vivre ensemble » dans le village de 1900 habitants où l’implication citoyenne est forte via différents « conseils » où la parole est écoutée que ce soit celle des enfants ou celle des personnes âgées. C’est une organisation tournée vers la proposition et le « faire ». C’est un collectif sans structure juridique animé par l’élue référente. Son fonctionnement est très souple et s’appuie sur une charte pour garantir le respect mutuel et la convivialité.
Des « groupes de projet », ou « ateliers », se réunissent régulièrement pour faire avancer des idées : la création d’une boîte à livres ou d’un potager participatif, le lancement d’un système de covoiturage ou d’une initiative « zéro déchet ».
L’existence de la fabrique ne va pas sans bousculer certains élus mais ils se sont adaptés et sont ouverts aux propositions ainsi que certains représentants associatifs locaux qui pensaient que cela n’allait pas fonctionner. Pour le moment la fabrique a trouvé son rythme car les actions menées sont modestes mais positives. Elles correspondent à des souhaits qui jusque là n’avaient pu être concrétisés. Elles ne nécessitent que peu de moyens financiers car elles sont portées par des bénévoles ce qui bien sûr nécessite un investissement important qu’il faut pérenniser. La souplesse de la participation fait que pour le moment, sans idéaliser la démarche, les résultats sont encourageants.
Le prochain projet envisagé est un jumelage avec un village situé en Écosse déçu par le Brexit : les démarches sont compliquées. La fabrique a préparé les dossiers mais c’est la Mairie qui devra prendre le relais car le projet nécessitera des signatures officielles.
Jérémy Cadart, chargé de mission démocratie participative à la mairie de Lille
La Ville de Lille, comme une soixantaine d’autres villes en France, a créé une ligne de « budget participatif ». Celui de Lille se monte à 1,5 M€. Les projets concernés par ce financement doivent contribuer à l’amélioration de la vie quotidienne et de l’espace public et non pour le fonctionnement des structures associatives qui les portent. Vingt projets seront sélectionnés cet automne par un jury composé d’habitants et de conseillers de quartier. Ils concernent la ville de Lille mais aussi Lomme et Hellemmes, villes associées. Pour l’heure, plus de 110 idées ont été déposées souvent par internet d’ailleurs. Il faut considérer l’initiative comme une expérimentation, dont la procédure et le fonctionnement, l’impact sur les Lillois, l’impact sur les services municipaux et in fine, l’apport en termes de démocratie, devront être évalués. Les freins principaux restent les barrières administratives et les compétences diverses au sein des villes : pour réaliser par exemple un boulodrome sur un espace public, cela relève de la compétence MEL. La gestion par marchés publics est également un obstacle. Enfin il est difficile de mobiliser les habitants des quartiers en difficulté qui devraient être les premiers bénéficiaires de ce dispositif.
CONCLUSION
Les deux dernières tables rondes ont montré la richesse de la créativité des citoyens et l’importance de s’emparer du « droit d’initiatives ». En ce qui concerne l’évolution des débats publics pour des sujets d’envergure nationale il est évident que les marges sont plus contraintes car le volet technique porté par les maîtres d’ouvrage reste prépondérant voire quasiment prioritaire. Rares sont les projets qui sont abandonnés du fait de la pression des participants : au mieux des expertises complémentaires peuvent être obtenues et entraîner des modifications. Ce sont surtout les enjeux industriels, les questions financières qui déterminent la mise en œuvre ou pas d’un projet.
Il ne me reste qu’à remercier les intervenants ayant répondu présent à notre invitation, Patricia Gombert pour cette organisation toujours aussi parfaite, Bertrand Verfaillie pour son professionnalisme et l’ensemble des étudiants et personnes présentes. J’espère que les témoignages et informations contribueront à ce que les nouveaux outils soient pleinement utilisés et pas seulement les outils informatiques qui sont très pratiques mais pas accessibles à tous. Rien ne vaut l’échange et le lien direct entre habitants et décideurs.
Je remercie aussi bien sûr la DREAL pour son soutien financier et souhaite à Christine Noël, notre correspondante au sein de cette institution, empêchée aujourd’hui d’être avec nous pour des problèmes de santé, un prochain rétablissement.
Je tiens aussi à exprimer à Monsieur Mercadal, ancien vice président de la commission nationale du débat public, auteur du livre « le débat public : pour quel développement durable ? » notre reconnaissance pour nous avoir aidés à aborder toute la complexité de la concertation par sa présence en 2015 et, pour cette nouvelle rencontre, via un texte très explicite que nous avons joint au dossier. Ses constats et ses arguments nous aideront beaucoup pour le prochain débat public 2019 concernant le Plan National de Gestion des Matières et Déchets Radioactifs.
Certes les difficultés demeurent mais la TRANSITION est amorcée.
Seule la persévérance permettra d’améliorer l’indispensable concertation !
Anita Villers – anita.villers@free.fr
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