EDA et le démantèlement des centrales nucléaires
Le sujet du démantèlement étant de moins en moins à l’ordre du jour lors des différentes réunions/rencontres/colloques auxquels nous assistons régulièrement, nous avons décidé de mettre en lumière un problème complexe, coûteux et de long terme qui sera à l’évidence un jour ou l’autre à aborder !
Il y a soixante ans, il n’était question que de construction de centrales nucléaires pour couvrir 75% des besoins en électricité du pays. La gestion de la fin de vie des installations nucléaires de base a été régulièrement occultée car paraissant déjà très complexe et nécessitant des technologies innovantes à inventer. Face à la garantie de sûreté des installations, leur démantèlement ne constituait pas une préoccupation majeure.
Rencontre démantèlement : une étape incontournable pour les centrales nucléaires
Organisée le 11 octobre 2016
Nous appuyant sur nos acquis durant toutes ces années au sein des diverses commissions ASN – IRSN – ANCCLI, nous avons organisé le 11 octobre 2016 une rencontre à l’Université Lille 1, en présence notamment de chercheurs du laboratoire de Physicochimie chargés de la formation et de la recherche dans le domaine du nucléaire à Lille 1 pour évoquer un problème qui sera inévitablement à gérer dans les années à venir.
Compte rendu de la rencontre – Université Lille 1
Démantèlement : une étape incontournable pour les centrales nucléaires
Éléments significatifs exprimés par les intervenants
Le démantèlement des centrales nucléaires est une nouvelle phase de l’industrie du nucléaire : un processus qui est long et complexe et dont il faut réussir à réduire les risques tant pour l’environnement que pour ceux qui interviennent sur les chantiers. Les centrales n’ont pas été conçues pour être démantelées et les mesures d’entretien ont modifié leur conception d’origine. Des endroits sont considérés comme « cellules aveugles » : leur niveau de radioactivité n’est pas connu. Le démantèlement des centrales nucléaires demande de nouveaux métiers, des technologies à adapter à chaque site et des contraintes supplémentaires liées à la gestion des tonnes de déchets
C’est aux opérateurs, EDF pour l’ensemble des réacteurs encore en activité, au CEA pour les installations prototypes de préparer les dossiers de mise à l’arrêt définitif (MAD) et du démantèlement proprement dit (DEM).
Cinq années environ sont nécessaires pour obtenir les autorisations de démantèlement délivrées par l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) après examen par l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) des dossiers décrivant toutes les étapes et procédés envisagés, notamment :
- Les filières d’évacuation appropriées aux matières et déchets radioactifs après découpes, tri, conditionnement dont les volumes sont très importants
- Les procédés de décontamination et de démontage des équipements internes et externes
- L’assainissement des locaux en vue d’une éventuelle réutilisation ou de leur déconstruction
- Les provisions financières à hauteur des coûts à prévoir pour limiter leur report sur les générations futures
Chaque démantèlement des centrales nucléaires se déroule par étapes successives, ce qui nécessite des années de travail. Certaines étapes s’avèrent laborieuses et compliquées du fait de la présence de radioactivité : les mesures de sûreté et de radioprotection sont drastiques.
Dans la pratique, le démantèlement des réacteurs nucléaires est précédé de l’évacuation du combustible vers l’usine de retraitement de La Hague (Manche). La vidange des circuits et la démolition des bâtiments conventionnels (comme la salle des machines) sont les étapes suivantes. La phase de démantèlement n’ayant pas été anticipée lors de la construction de l’ensemble du parc nucléaire français, de gros problèmes d’accès aux parties les plus contaminées des centrales se posent ce qui nécessite des aménagements spécifiques : « construire pour ensuite déconstruire en utilisant des robots adaptés à chaque opération à mener ».
Chaque centrale est implantée dans un environnement différent. Des ajustements appropriés au territoire concerné s’imposent. Il est important de s’appuyer sur les témoignages de techniciens et ouvriers ayant travaillé dans la centrale : une mémoire précieuse. La France a de ce fait opté pour un démantèlement dit immédiat afin qu’ils puissent apporter les informations utiles pour un déroulement optimisé des actions à mener.
L’objectif de l’ASN est de garder en permanence une vision globale du déroulement du démantèlement des centrales nucléaires et de vérifier que l’enchaînement prévu par l’exploitant reste cohérent.
L’ASN s’attache à vérifier que les règlements en vigueur sont respectés et délivre les autorisations indispensables après examen des dossiers en s’appuyant sur les expertises de l’IRSN qui contrôle en détail les différentes étapes du processus de démantèlement proposés par les opérateurs. L’IRSN peut remettre en cause des choix jugés insuffisants pour maîtriser les risques liés aux fuites, conditionnements inadaptés et surtout prévenir les expositions des personnels aux radioéléments.
Recherches et innovations sont indispensables pour optimiser l’ensemble des étapes : l’IRSN fait appel aux laboratoires de recherches universitaires pour reproduire en laboratoire des situations complexes testées sur des réacteurs miniatures. Les règles de sécurité sont drastiques. Il s’agit d’élaborer des outils de modélisation reproduisant les étapes d’un accident. Le travail se fait en réseau avec d’autres laboratoires car beaucoup de travaux de recherches sont en cours sur la thématique nucléaire.
A Lille1, Laurent Gasnot s’intéresse à la chimie de l’iode et étudie notamment les formes nocives de rejets dans l’atmosphère, les processus réactionnels tels les risques d’incendie. Ce partenariat dure depuis une dizaine d’années et a conduit récemment à la création d’un Master 2 pour préparer à de nouveaux métiers en favorisant les rencontres d’étudiants in-situ avec les professionnels du nucléaire.
Le démantèlement des centrales nucléaires ouvre un large champ aux métiers d’avenir : à Marcoule, l’association Cyclium créée en 2012 regroupe 80 entreprises souvent des sous-traitants sur l’axe ingénierie du démantèlement dans une optique de mutualisation en s’appuyant sur tous les acteurs du territoire. Il y a nécessité de formations constantes et d’innovations techniques telles celles de robots pour les endroits à risques et/ou d’accès pénibles notamment. De nombreuses autres filières sont concernées telle la modélisation 3D dont se sont emparées certaines start-ups très pointues.
Les sous-traitants bénéficient des dispositifs santé spécifiques au domaine nucléaire et notamment ceux concernant le suivi de leurs dossiers médicaux. Si un dosimètre indique des dépassements de doses, le film est envoyé à l’ASN qui juge des mesures à prendre comme pour tout personnel du parc nucléaire français (industriel ou médical).
L’objectif de Cyclium est d’améliorer les process techniques sur le long terme et de devenir une vitrine du savoir-faire du démantèlement pas seulement pour les centrales mais aussi dans d’autres secteurs comme celui du naval par exemple. En effet l’option de prolonger la durée de vie des centrales pose actuellement problème. Pour le moment c’est surtout le CEA qui est le donneur d’ordre notamment sur le site de Marcoule.
Le marché EDF reste plat. L’argent disponible pour les entreprises de démantèlement s’éloigne. Si ce recul se poursuit, les marges financières seront faibles or l’innovation a besoin de valeur ajoutée. De plus, il deviendra difficile de rester crédible/visible à l’étranger sans pouvoir prouver les compétences acquises en France. Il faut donc envisager des mutations des orientations et s’ouvrir à d’autres secteurs.
Retarder le démantèlement constituera un futur handicap car il est nécessaire que les retraités/témoins/mémoire des installations à démanteler passent le relais.
Les effets à long terme de l’exposition aux faibles doses radioactives : le bilan des études menées après un suivi de 3000 ouvriers exposés à de faibles doses pendant plus de 25 ans montre que le risque de leucémie existe bien mais que pour les tumeurs solides le diagnostic est plus difficile à estimer.
Pour les enfants habitant dans un rayon de 5 Km des centrales nucléaires, les études s’orientent vers les effets cumulés d’ingestion d’eau ou d’aliments très légèrement contaminés par les radio éléments et contenant aussi des substances chimiques (pesticides, engrais …). L’interaction entre ces deux facteurs de risques fait l’objet de nouvelles séries d’études.
Démanteler, c’est transformer une installation nucléaire en déchets : pour l’instant ce sont de petites installations qui sont en cours de démantèlement. Le constat est qu’il faut absolument informer les personnels qui vont intervenir sur ce qui a été changé en cours de fonctionnement – La centrale de Brennilis est en démantèlement depuis 1985 car il y a des endroits où personne ne peut aller. Les installations n’ont pas été prévues pour être démantelées donc ce sont bien de nouveaux métiers et de nouvelles recherches dont nous avons besoin.
Par ailleurs, l’ASN est très prudente sur le prolongement des installations actuelles toutes construites sur le même modèle et donc les mêmes défauts se révèlent : cuves – générateurs de vapeur…
Le problème des déchets est colossal et la pression concernant les seuils de libération pour les métaux et les bétons faiblement voire très faiblement contaminés s’accentue de la part des opérateurs. Ils comparent les effets de ces faibles rayonnements à ceux de la radioactivité naturelle. Il faut savoir que radioactivité naturelle ne signifie pas sans conséquence sur la santé.
L’ASN donnera un avis mais c’est l’État qui décidera. Jusqu’à présent, contrairement à d’autres pays en Europe, la France a refusé d’autoriser les seuils de libération : tout déchet doit être conditionné et déposé dans un lieu de stockage approprié, ceci au titre du principe de précaution : stockés, les déchets font l’objet d’un suivi permanent. Pouvoir les valoriser, les vendre entraînerait l’impossibilité d’un suivi efficace et de ce fait un risque d’exposition incontrôlable à long terme. Il y a quelques années des ustensiles ménagers ont été retirés du marché car faiblement radioactifs. C’est ce qui a conduit à la position très ferme de la France au sujet des seuils de libération.
Questions/Réponses
Sur le site de l’ASN
Réponse ASN : Toutes les opérations de démantèlement se déroulent sur plusieurs années. Il y a régulièrement des inspections de l’ASN. Les dossiers sont examinés minutieusement. ASN et IRSN ont vu leurs moyens renforcés pour exercer leurs missions.
Réponse Cyclium : A l’étranger, grandes entreprises et sous-traitants se sont spécialisées sur diverses activités spécifiques aux sites nucléaires. Le marché du démantèlement en France reste un marché qui dégage peu de marges mais qui a su nouer des partenariats avec les écoles de formation, notamment dans le Sud-Est. Reste à optimiser les liens avec la CCI pour que besoin des entreprises et formation coïncident. Les entreprises de l’association Cyclium s’investissent dans la formation car sur certains métiers, il est difficile aujourd’hui de trouver les compétences attendues, notamment sur les métiers d’ingénieur.
Réponse Cyclium et IRSN : Des analyses de risques et des dispositions spécifiques sont prévues pour tous les types d’intervention. Les opérations qui se font dans des milieux à hautes et moyennes activités radiologiques demandent une préparation et une gestion de la charge de travail pour chaque intervenant très pointue. Les règles sont très précises pour préserver leur santé. Dans la très grande majorité des cas l’exposition est très faible. Il y a un suivi radiologique similaire pour tous les travailleurs du nucléaire.
Réponse IRSN : il y a un retour d’expériences assez important. A l’IRSN, il y a un poste dédié à cela. Récemment des déplacements ont été faits, par exemple en Slovaquie. Les installations sont différentes ainsi que le choix sur la gestion des déchets. En France, tout déchet issu d’une zone potentiellement soumise à de la radioactivité même faible est considéré comme un déchet radioactif. Il part systématiquement en décharge spécialisée. Cela a un coût financier non négligeable et entraîne la nécessité de prévoir les lieux de stockage adéquats. Des échanges sur ce point ont lieu avec l’Angleterre et l’Espagne qui sont confrontés aux mêmes problèmes.
Réponse : ASN et GSIEN
La loi de programme sur les déchets de 2006 oblige les exploitants à consigner des sommes pour le démantèlement. Une commission existe pour vérifier si ces provisions sont effectives et régulières. Une enquête est faite notamment par l’ASN pour vérifier si les scénarii de démantèlement proposés sont réalistes. De plus, les exploitants doivent sécuriser l’argent provisionné. Le conseil d’Etat et la Cour des comptes sont les autorités chargées de cette surveillance. La CNEF en charge initialement de ces dossiers « s’est sabordée » faute de moyens. La cour des comptes a fait des rapports très critiques sur certaines provisions. Le Haut comité regarde si la transparence est assurée.
Réponse Cyclium : Certains acteurs étrangers sont compétents et pas dans le démantèlement à bas coût. Il est difficile de définir ce qu’est le démantèlement à bas coût. Aujourd’hui, nous ne sommes pas confrontés à cette question.
Conclusion – Anita Villers, Présidente EDA
Il a été intéressant d’être à la fois au fait du développement des recherches en vue de la création de nouveaux emplois spécifiques au démantèlement qui doivent se préparer dès maintenant et du flou qui réside sur les décisions en faveur du prolongement de la vie des centrales ou pas.
La variété des exposés montre l’importance des mutualisations de tous les acteurs, chercheurs, entreprises, autorités de contrôle… face à la complexité d’une activité qui devra s’adapter aux spécificités des territoires où le démantèlement aura lieu. De même, la nécessité d’une information transparente en continu, à toutes les étapes du processus vis à vis des habitants est incontournable.
Les pressions des opérateurs pour obtenir des seuils de libération pour les métaux et les bétons faiblement contaminés s’accentuent car les volumes sont colossaux et les coûts de stockage conséquents au moment où leur situation financière est préoccupante.
De plus, le manque de solution pour le stockage des déchets de moyenne et de haute activité à long terme retarde la mise en œuvre d’un démantèlement qui devrait durer une centaine d’années. Aucune solution satisfaisante n’existe ! Certes il n’est plus question de jeter les déchets dans les fosses marines comme cela a été trop longtemps le cas. L’enfouissement profond pose la question des incendies, de la migration à long terme de radio-éléments dangereux dans les nappes phréatiques.
Il est certain qu’un entreposage de surface permet un contrôle continu.Même si la décision de démanteler est retardée, il reste opportun pour tout un chacun de s’approprier la complexité du défi qu’il faudra relever et de rester vigilants face aux décisions à venir.
Organisation/coordination/communication de la rencontre :
Patricia Gombert / Grands Ensemble – pgombert[@]agenceaffairespubliques.fr
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